
[҂] Clint Mansell - Together We Will live Forever
C'est son asile. Le seul endroit plus bordélique que sa tête. Et ce jour-là, plus encore que les autres, elle se sent chez elle. Le vent transperce ses os, formant à quelques mètres d'elle, des vagues la dépassant nettement. Le ciel est gris et balance même par à coup des légères averses à peine mouillées, à peine réelles. Elle a l'impression d'avoir crée ce temps, comme si elle avait notifié au Créateur de retranscrire son humeur. Elle n'avait pas remis les pieds sur ce ponton depuis des années. Mais son corps en inertie depuis des jours -des années?- la conduite ici, sans la consulter. Elle s'est étonnée de se retrouver là, puis ses reins ont retrouvés leur place sur les lattes de bois usées. Elle ignore depuis combien de temps elle est là, lorsque le ponton craque dérrière elle. Elle se retourne lentement, peu surprise de le trouver là, lui aussi.
- "Elle va mieux?"
Elle refuse d'essayer de comprendre comment il l'a trouvé. Elle ferme les yeux le plus doucement du monde, comme calculant chaque seconde avant de répondre. Elle se contente d'hocher la tête, en étendant ses jambes au dessus de l'eau. Elle glisse ses mains liées entre ses deux cuisses, alors que Gaby s'assoit près d'elle avec gêne. Un frisson parcours la jeune femme. Mais ce n'est désagréable. Juste normal, évident. Un frisson Gabriel, comme à chaque fois qu'il est près d'elle. Eden comprend pour la première fois que cet homme là, a à la fois le pouvoir d'accélérer le tambour de sa poitrine, mais aussi d'en calmer les battements, quand elle en a le plus besoin. Elle se rappelle du dernier homme qui l'a faisait se sentir ainsi. Qui, par son regard, réussissait à la faire se sentir à l'aise, peu importe les circonstances. Roméo. Elle y pense beaucoup ses derniers temps. Peut-être car devenir mère à ranimé ses souvenirs. Peut-être parce que lui, il saurait protéger Lex alors qu'elle n'y arrive plus.
- "Tu te souviens de la nuit du bal, quand je t'ai parlé de Jamie?" Murmure t-elle, juste assez fort pour recouvrir le bruit des vagues.
Comment peut-il oublier? C'était l'histoire la plus triste qu'il n'a jamais entendu, racontée par la fille la plus bousillée qu'il n'a jamais rencontré. Il n'a d'ailleurs jamais revue cette fille fragile et vulnérable. Mais comme il ne peut lui avouer tout cela sans avoir envie de la prendre dans ses bras, sans avoir envie de l'embrasser. Alors faute de mieux, il reste silencieux et se contente d'hocher la tête.
- "Tu m'as demandé à propos de mes parents..." Commence t-elle.
- "Eden, tu n'es pas obligé de faire ça..." L'interrompt-il, en posant une main tendre sur sa cuisse.
- "J'en ai besoin." Crache t-elle, plus violemment qu'elle ne l'aurait dû, probablement vexée par cette mise sous silence imposée. "Mon père était un héros. Même en grandissant, je savais que j'épouserai un homme à son image. En réalité, son seul tort à été de se marier par devoir. Pourtant, il a dû l'aimer au début. Mais il n'avait jamais pensé devoir passer sa vie entière avec elle. Pourtant, quand elle est tombé enceinte de Jamie, il est resté. Moi, j'ai été conçue pour qu'ils essayent de croire que ce premier enfant n'était pas une erreur. Et Lex... Lex, était le dernier espoir de sauver leur couple." Il est pendu à ses lèvres, attendant un mot de sa part, pour la consoler, l'enserrer, l'aimer. En passant une main sur sa nuque douloureuse, elle comprend qu'elle dresse un portrait bien sombre de son enfance. "Quand il a compris que ça ne marcherait pas avec Elisabeth, il a compensé en nous offrant tout cet amour inutile. C'est lui qui se levait la nuit pour Lex, qui l'a appris à marcher et à être propre. Pour moi, c'était les livres. Il me voyait en dévorer un dans le canapé du salon, et il fonçait à la bibliothèque pour emprunter le même et le lire pendant sa garde à la caserne. Ils n'étaient pas tous bons, mais il s'en fichait. Ce qui comptait c'était d'en parler avec moi à table. Et j'ai grandis en ayant l'impression d'avoir de la chance. Que quelqu'un s'intéresse à ce que j'aime, à ce que je pense."
Il comprend que ce sentiment à disparu, en même temps que son enfance volée. Et que c'est probablement pour cette raison que depuis, elle garde tout ce qu'elle pense, en se cachant derrière son sourire cassé.
- "Jamie, elle, a commencé la natation en entrant au collège. A l'époque, elle aimait tellement ça, qu'à l'époque elle parlait même de s'entraîner pour les Jeux Olympiques. Alors mon père s'est entraîner à son tour, pour arriver à son niveau. Et quand ça a été le cas, il lui réservait des après-midi entières pour nager tous les deux. Moi, je m'asseyais là, sur le ponton, mon chronomètre en main et je les regardais disparaître dans les vagues. Je retenais mon souffle, jusqu'à les voir émerger de l'eau. Je n'étais pas capable du moindre mouvement jusqu'à ce qu'ils soient tous les deux remontés avec moi sur le ponton. J'étais terrifiée, et pourtant je ne m'imaginais pas être absente à l'une de leur séance : Comme si j'étais la seule raison qui les gardait en vie. Comme si j'étais le point de repère qui leur permettait de retrouver le chemin jusqu'au ponton."
Son regard est plongé au loin, comme pour essayer de les revoir encore. Un diplôme de psychologie n'est pas nécessaire pour comprendre le sentiment de culpabilité qui a animé Eden les années qui ont suivie la tragédie.
- "Il est mort, n'est ce pas?" Chuchote t-il, en le cherchant lui aussi, entre les vagues.
Cette fois, le regard de la jeune femme change sa dimension. Il n'est plus fixé sur l'océan, mais près de 15 ans en arrière. Ses mains ne sont plus coincées entre ses cuisses. A là place, elle essuie frénétiquement ses paumes comme une malade pathologique. Comme si la salissure de ses actes était la seule chose préoccupante.
- "Quand une gamine meurt, les journaux en parlent. Pendant des semaines, des mois. Et les gens oublient à partir du moment où ça ne fais plus la une des magazines. Mais pour les familles... Tout est différent. A la maison, on vivait avec le fantôme de Jamie. Elle était dans chaque pièce. Quand on se parlait enfin, ce n'était jamais trop fort, comme pour ne pas réveiller la douleur. On ne sortait plus, de peur de voir que le monde avait continué sans nous, sans elle. On ne voyait personne, car on était incapable de tenir une conversation. Et quand Lex, qui ne comprenait que peu de choses à ce qui se passait, partait dans un fou-rire d'enfant, on la dévisageait comme si le son qu'elle produisait nous était inconnu. On tournait en rond, étouffait par la culpabilité qui nous étouffait, de ne pas avoir vu, de ne pas avoir su ou compris. Ma mère a été la première a craquer. Elle avait besoin d'un coupable, et mon père a été la victime idéal. Elle hurlait qu'il s'en fichait, qu'il ne faisait rien pour comprendre, qu'il ne faisait rien tout court. Il a alors commencé à enquêter, auprès des amis de Jamie, en fouillant dans ses affaires et ses souvenirs. Quelques mois après sa mort, il est entré dans le lycée, et a pété un câble contre le proviseur. Quelque chose avait dû le mener jusqu'à lui. Ils se sont disputés, et mon père l'a tabassé. Il s'est immédiatement rendu à la police, et à été enfermé pour violences volontaires pour huit mois. Ma mère nous a empêché d'aller le voir, mais on échangeait des lettres. Entre temps, on était devenue la famille a éviter." Elle se souvient dans un frisson, de ces messes-basses innocents sur son passage, des crachats gratuits, des enfants qui l'encerclaient, et de ses courses éffrénées pour arriver jusqu'à chez elle, avant qu'un d'eux ne l'atteigne. Le soir avant d'aller se coucher, elle ne priait pour que ces enfants ne meurent dans d'atroces souffrances, mais plutôt pour qu'ils aient oubliés avant que Lex ne subissent les mêmes peurs. "Quelques jours avant sa libération, il a été poignardé par un co-détenu. Fin de l'histoire. Il ne restait plus qu'Elisabeth, Lex et moi."
Sa voix s'éteint dans l'écume, et il hésite encore sur sa réaction quand elle reprend la parole.
- "Elisabeth a disparue du tableau, et..." Elle hésite à son tour. Elle ferme les yeux pour ne pas avoir à vérifié que ce qu'elle compte dire, aura le moindre impact autours d'elle. "Et je ne suis vraiment pas prête à me retrouver seule."
Cette fois, Gabriel ne réfléchis plus. Il lui prend le visage, pour la forcer à se tourner vers lui.
- "Lex va bien. Et d'une manière ou d'une autre, c'est grâce à toi. Elle te sera toujours reconnaissante pour tout ce que tu as fais pour elle, depuis votre enfance, et quoi qu'il arrive dans vos existences à toutes les deux, vous ferez toujours partie de la vie de chacune." Elle reste un bon moment à l'observer. Il est sérieux. Sincère. Honnête. Il croit en elle, en son histoire, malgré tout ce qu'il sait à présent. Elle succombe déjà, et pourtant il ajoute la touche finale. "Et je serais là. Quoi qu'il advienne."
Elle ne le comprends pas. De la même manière qu'elle n'a jamais compris Maé avant lui. Il est si beau, si tendre. Avec son sourire de travers et ses cheveux de sable. Elle imagine ces toutes jeunes filles se retourner sur lui dans la rue, et cette indifférence qu'il ne doit pas connaître : Il pourrait combler de bonheur n'importe laquelle d'entre elles. Alors à quoi bon s'acharner sur elle, sur Eden Adamson, brisée de son état. A quoi bon supporter ses humeurs changeantes, son silence pesant, ses souvenirs cassé, son passé déchire, sa peur de l'abandon chronique, son jemenfoutisme merdique, et ses autodestructions pathologiques? Elle comprendrait de finir seule. Comme Elizabeth, dans sa grande maison hantée. Après tout, elle l'aurait bien cherché, avec son besoin de toujours tout foutre en l'air. Mais un mec comme celui-là? Non... Elle n'a jamais pensé en mériter un. Pourtant, elle ne songe pas à tout cela, à cet instant. Elle regarde cette homme et elle voit qu'il est prêt à l'aimer. Même en sachant tout d'elle. Alors, elle fronce ces sourcils de la manière la plus adorable qui soit, comme un enfant qui a peur d'être trop naïf. Mais malgré les secondes qui passent, et le silence qui suit, il ne retire pas ce qu'il a dit. Il attend. Il n'attend qu'elle. Alors elle se rapproche et attrape ses lèvres avec cette même fragilité qui ne la quitte jamais, et ne l'abandonnera pas de sitôt. Il lui répond, plus franc, plus confiant. Le bruit de l'écume percutant les rochers, noie un peu le son de leur coeur qui battent. Ce n'est pas leur premier baiser, et pourtant c'est celui qui fait d'eux un couple. Ils sont libres, conscients, aimants. Chacun d'eux connait qui il embrasse, son histoire et ses peurs, et pourtant il à encore envie d'embrasser l'autre. Ce baiser là, est plus long, plus véritable, plus emprunt d'une habitude. C'est elle qui s'écarte la première. Il lui accorde un sourire quand elle prend son recul. Il est toujours là, bien réel, son Gabriel. Comme une enfant conquis, elle s'installe en silence en chien de fusil, les genoux remontés sur son estomac. Elle pose son crâne sur la cuisse chaude de l'homme dont elle vient de tomber amoureuse. Il se raidit, peu habitué à autant d'impudeur de sa part, mais il comprend qu'elle n'attend rien si ce n'est sa présence. Elle ferme les yeux alors qu'il passe sans relâche sa main sûre, dans ses cheveux. Elle l'amertume aux lèvres, elle repense déjà avec nostalgie à ces 24 secondes qu'on duré ce baiser. Vingt-quatre secondes sans penser. Sans penser à Lex qui aurait pu mourir. A Sophie qui meurt de chagrin. A Jamie pendue sur son arbre. A son autre Jamie, pour lequel elle ne peut rien assurer. A Roméo qu'elle aime toujours comme si elle avait 6 ans. A Elizabeth qui meurt elle aussi, fort loin d'eux, à l'abri dans son château de fantôme. A Lila qui ne reviendra jamais.
TROIS COMMENTAIRES POUR ETRE PREVENUE.
TheirGALLERY, Posté le dimanche 22 décembre 2013 09:24
Mon ordi bugue beaucoup, ça n'aide pas. Mais y a rien que j'ferais pas pour arriver au bout de tes écrits.